Neutralité des personnes encadrant les activités scolaires ?

L’interpellation brutale, ou plus exactement l’agression verbale dont a été victime le 11 octobre 2019 une maman voilée accompagnant un groupe d’élèves de CM2, lors d’une assemblée plénière du Conseil régional Bourgogne-Franche-Comté, par un élu du Rassemblement National (RN), est inacceptable.
Elle intervient dans un contexte où, malheureusement, se banalisent les discours de haine et d’exclusion, dans un contexte de simplifications outrancières, d’échanges d’insultes sur la base de faits travestis… comme si tout débat raisonnable était devenu impossible. Une approche nuancée et argumentée est bâillonnée par des polémistes qui cultivent leur fonds de commerce en « énonçant des discours de haine dans la France républicaine au nom du nous Français » (Gérard NOIRIEL dans un entretien donné le 24 octobre dernier à AOC. Média à propos de son dernier ouvrage « Le venin dans la plume »).
Nous refusons de céder à tout emballement médiatique et nous souhaitons prendre le temps de proposer une analyse et des éclairages qui s’inscrivent dans la tradition et le droit de notre pays tel qu’il est issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 et de notre jurisprudence.
Nous voulons éviter toute simplification réductrice ou malhonnête pour une question éminemment complexe et qu’il faut aborder avec sérieux et pondération.
Que dit le droit aujourd’hui ? Seules les personnes qui exercent une mission de service public sont tenues au devoir de neutralité. C’est ce que dit le Conseil d’Etat dans son étude du 19 décembre 2013 (une étude n’est pas un arrêt et n’a pas de caractère contraignant) : les parents accompagnateurs, bénévoles, ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité. Avec deux réserves toutefois : la perturbation au bon fonctionnement de la sortie scolaire, ou un trouble à l’ordre public. En l’absence de texte législatif nouveau et dans le cadre juridique actuel, il est évident que l’attitude de l’élu du RN est non seulement contraire au droit mais elle est inexcusable, intolérable et indigne de la part d’un élu de la République. Le débat concernant le statut des personnes qui accompagnent les sorties scolaires est légitime.
Dans un article du Monde daté du 9 octobre 2019, Dominique SCHNAPPER, sociologue, directrice à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), ex-membre du Conseil constitutionnel et présidente du Comité des sages de la laïcité au ministère de l’Education nationale, affirme « les sorties scolaires sont un moment d’apprentissage et doivent être fidèles aux principes qui prévalent à l’école ».
Elle précise : « On peut se demander s’il doit y avoir un statut différent entre les activités scolaires qui se déroulent à l’intérieur des locaux et les activités conduites à l’extérieur de ces locaux. La sortie scolaire n’est pas une promenade ou un divertissement, mais un moment d’apprentissage qui confronte l’élève au réel et élargit son horizon culturel. Faire que tout ce qui ressortit à l’obligation scolaire fonctionne avec les mêmes principes, quel que soit le lieu de déroulement de l’activité, est un facteur de stabilité pour l’école, ses personnels et les élèves ».
Elle ajoute : « Si l’on ne saurait, en l’état actuel du droit, interdire à des mères d’élèves de participer à l’encadrement d’une sortie scolaire sous le seul motif qu’elles portent un voile, on peut toutefois espérer, pour le bien de l’école et pour y garantir le climat paisible et serein dont elle a besoin, que le principe de neutralité qui régit l’école publique prévaudra sur les tentatives de dévoiement communautariste ».
Quelle appréciation devons-nous porter sur l’affiche diffusée par la FCPE dans la perspective des élections des parents d’élèves dans les établissements scolaires à la dernière rentrée ?
Rappelons que cette affiche de campagne électorale présente une femme voilée qui affirme « oui, je vais en sortie scolaire, et alors ? ». Il est évident que cette affiche qui a jeté le trouble au sein même de la fédération, banalise le port du voile en le présentant comme l’expression d’un libre choix de chaque femme et en suggérant que son interdiction lors d’une sortie scolaire devrait être prise comme une discrimination. C’est, de notre point de vue, faire preuve d’une grande naïveté et refuser de voir que nous sommes devant une campagne visant à introduire un espace particulier pour une religion, une exception contraire à l’universalisme républicain dans une activité totalement intégrée dans le programme et le temps scolaire.
Dans ce contexte doit-on faire évoluer la réglementation en matière d’accompagnement des sorties scolaires ?
Notre position est claire : il serait plus lisible et plus sain de considérer que la même règle s’applique à toutes celles et tous ceux qui encadrent des activités intégrées dans le temps scolaire que celles-ci se déroulent dans ou à l’extérieur des locaux scolaires.
La question se pose de savoir si le moment est opportun pour changer les règles au risque d’agrandir la fracture qui se creuse aujourd’hui dans le cadre d’un débat hystérisé où l’émotion et la caricature l’emportent le plus souvent sur la raison.
Il est de la responsabilité des parlementaires d’en débattre et d’apprécier si le moment est venu de légiférer ou non. Mais nous sommes convaincus qu’il faudra, comme cela a été fait en 2004 pour les élèves des écoles, collèges et lycées publics, exiger que toutes les personnes qui participent à l’encadrement des activités scolaires, à l’intérieur comme à l’extérieur des murs de l’école respectent le principe de neutralité.
Nous estimons que ce moment est venu compte tenu des tensions auxquelles sont actuellement confrontées nombre d’écoles. Il n’est plus possible de laisser aux directeurs la responsabilité de gérer seuls ces situations.
Non aux « accommodements raisonnables »
Ne nous laissons pas abuser par les discours qui, sous prétexte de construire un cadre intégrateur, proposent des « accommodements dits raisonnables ». Sous la forte pression des communautés religieuses le Canada a expérimenté une attitude permissive concernant par exemple la révision des programmes scolaires ou les quotas pour les recrutements à certains concours… avant de reculer face aux incohérences des revendications et au risque d’un éclatement sociétal.
Notre pacte républicain nous invite à faire vivre les trois piliers de sa devise : Liberté Egalité Fraternité, ainsi que les quatre principes énoncés dans l’article premier de notre Constitution : « La France est une République, indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Nous y répondrons en mettant en avant le bien commun, l’intérêt général et la volonté de créer les conditions de Mieux Vivre Ensemble, et en refusant de répondre positivement à des demandes communautaristes d’origine religieuse ou autre.
En conclusion laissons la parole à Régis DEBRAY qui, dans Allons aux faits paru chez Gallimard en 2016, donne une définition de la laïcité qui devrait nous servir de boussole :
La laïcité « n’est pas destinée à nettoyer la société de toute empreinte religieuse, mais à préserver l’espace public de toute emprise des religions ».

Noël MARGERIT

Président d’Education-République-Egalité

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